Yomoni : investissez mieux !

© Chappatte, Le Temps, Suisse - www.chappatte.com

Donald Trump a lancé 1 641 tweets depuis le début de l’année ! Fort heureusement, nous avions conclu depuis longtemps qu’il était inutile de commenter chacune de ses saillies puisqu’il en avait déjà envoyé 2 568 durant sa première année d’exercice. Néanmoins, il n’y a pas lieu de dénigrer le mode de communication de celui qui a constamment défié les pronostics des plus avertis, d’autant que son action possède un impact sur l’économie mondiale et les marchés financiers.

Nous avons donc tenté l’exégèse de ce style de communication original, en faisant le pari qu’il s’agit d’une forme d’expression qui porte probablement une cohérence, un message d’ensemble.

America, only !

Premièrement, les déclarations des deux derniers mois confirment nos conclusions de l’édito de mai, la doctrine Trump en matière de relations internationales est simple et cohérente : celle d’un impérialisme assumé. Il assume une posture autoritaire et martiale et fait un usage restreint de la force militaire, du moins pour l’instant. Elle contraste avec celle plus complexe de son prédécesseur, soucieux à la fois des intérêts américains, de ceux de ses alliés mais également d’une posture morale, l’obligeant parfois à certaines contorsions diplomatiques et finalement à des interventions militaires ponctuelles.

Sur ces 4124 tweets depuis sa prise de fonction, on dénombre en effet :

  • 758 fois “Etats-Unis”, « Amérique », “Notre Pays” ou « Le Peuple Américain »,
  • 272 fois « Emplois/Jobs » et 137 fois “Entreprises”
  • 139 fois « Trade/Commerce » et 63 fois « Marchés Actions »,
  • 128 allusions aux forces armées américaines et 29 fois « Guerre »,

En revanche, il y a seulement 3 références à « nos alliés», 3 sur le “réchauffement climatique” sur le ton de l’ironie, 3 mentions de « la pauvreté », 2 petits  tweets évoquant les « Droits de l’Homme », et finalement 1 seul sur “l’aide alimentaire” ou sur “l’égalité”… En bref, avec Donald, pas de surprise, il s’adresse principalement aux américains, en priorité à ceux qui ont voté pour lui, avec un message simple: « American Business, first ! ».



Le Grand Jeu 3.0

Deuxièmement, le président ouvre un nouveau registre avec 113 références à la Russie, 50 à la Chine et 21 à l’Iran en à peine 6 mois, contre 35 références à l’Europe en 18 mois. Il nous sort véritablement le « Grand Jeu » sur trois fronts simultanés. Une guerre commerciale avec la Chine, un sommet avec la Russie de Poutine, et enfin des menaces envers l’Iran. C’est Rudyard Kipling -en 1901- qui avait popularisé l'appellation du « Great Game » (Le Grand Jeu), pour décrire la lutte d’influence entre l’Empire Britannique et l’Empire Russe durant le XIXe siècle sur l’Asie Centrale, principalement en Perse et en Afghanistan. Il faisait ainsi référence à l’hypothèse du « Monde Pivot », selon laquelle l’équilibre du monde et sa domination se jouait sur cette ligne de fracture multi-millénaire entre Orient et Occident.

  • Dès 1820, l’Empire britannique, première puissance maritime, cherchait à contenir un rival terrestre sur cette région vierge de toute colonisation occidentale. La Russie aurait pu atteindre la péninsule indienne et menacer ainsi sa suprématie mondiale. La Russie impériale, quant à elle cherchait à achever son expansion Nord-Sud après l’élargissement Est-Ouest des siècles précédents. Un corridor vers l’Océan Indien lui ouvrait les grandes routes maritimes commerciales et militairement stratégiques. La rivalité s’est soldée par un statu quo, soit probablement une issue favorable pour l’Angleterre. La grande victime collatérale fut la Chine, qui perdit des territoires au profit des deux nations alors prêtes à oublier leur rivalité pour dépecer l’Empire du Milieu victime de retard technologique.
  • Durant la guerre froide, les Etats-Unis avaient remplacé l’Empire Britannique avec les mêmes velléités de contenir l’Union soviétique. C’était le temps de la « théorie des Dominos », une sorte de “Grand Jeu 2.0” qui motivait la politique de Containment du géant communiste depuis La Turquie jusqu’en Corée en passant par le Vietnam. Au centre, les alliances avec l’Iran se révélèrent fragiles, et donnèrent lieu à quarante ans d’opposition frontale. De son côté, l’Union Soviétique avait exacerbée la doctrine expansionniste tsariste pour s’enliser en Afghanistan, et finalement y favoriser une présence militaire américaine à sa frontière.
  • Aujourd’hui, la volonté d’influence russe au Sud de ses frontières est toujours d’actualité, et la Chine s’est invitée dans ce nouveau Grand Jeu en élargissant progressivement sa zone d’influence par le commerce, avec entre autres d’étroites relations avec l’Iran. En réalité, dans ce Grand Jeu 3.0, l’avenir de l’Iran est anecdotique, Trump s’en soucie principalement pour satisfaire ses alliances privilégiées avec l’Arabie Saoudite et Israël. Le véritable enjeu est la domination de l’univers numérique. Ce serait en effet le nouveau « centre du monde » sur lequel le maintien de la suprématie est cruciale pour les Etats-Unis. Ils ont deux priorités. A court terme, il s’agit de contrer l’ingérence et l’influence des autorités russes qui ont ressuscité la piraterie d’état au travers des réseaux sociaux. A moyen terme, la priorité est de de contenir le progrès technologique des Chinois. Trump et le Congrès les accuse désormais de voler la propriété intellectuelle des entreprises américaines et de leur bloquer l’accès de leur marché. Trump est devenu un soutien fort des GAFA, puisqu’à l’exception de sa vindicte personnelle contre Amazon, les seuls tweets de Trump les citant félicitaient Apple de rapatrier ses bénéfices grâce à la récente exonération d’impôts et vilipendaient l’amende que l’UE a infligée à Google.

La guerre commerciale numérique

Pour les puissances engagées, les conséquences d’un Grand Jeu sont le plus souvent un enlisement sur des positions bloquées, puisque l'affrontement direct serait trop coûteux pour toutes les parties. En revanche, les conséquences sont plus désastreuses pour les seconds rôles, qui font les frais des affrontements sur leur territoire ou à leurs dépends. Il est donc à craindre que l’Europe, grand absent du monde numérique, fasse les frais d’un éventuel partage entre puissances technologiques. Une des hypothèses en vogue, serait pour les américains d’isoler la Chine de l’Internet Mondial, avec un “Tech Wall”. Ce mur aurait probablement l’aval des autorités chinoises plus soucieuses de contrôle intérieur que de conquêtes internationales. Nos “alliés” d’outre-Atlantique -débarrassés de toute concurrence- auraient alors le champ libre sur le reste du monde. Face à cette menace de monopole, la montée d’un protectionnisme numérique ne serait donc pas insensée, marquant le véritable début de la guerre commerciale. Après RGPD (la réglementation européenne sur la protection des données personnelles), verra-t-on les Européens se rassembler autour d’un projet Airbus pour le numérique européen ?

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