Yomoni : investissez mieux !


Paris n’est plus champion de France. Le 17 mai dernier, le PSG a été détrôné par Monaco, pour le plus grand bonheur d’une majorité de Français — 60 % d’entre eux ont une mauvaise opinion du club de la capitale, et ça ne date pas d’hier. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, nombreux furent les provinciaux qui trouvèrent dans la destitution du club parisien un motif de réjouissance et une occasion supplémentaire de manifester leur dédain à l’égard de Paris.

Il suffit de se pencher sur les chiffres de la récente élection présidentielle, pour voir que cette fracture française entre Paris et la province ne se manifeste pas uniquement sur les pelouses de Ligue 1. Paris ne vote pas comme le reste de la France, c’est très net. Ce que nous apprend la dernière élection présidentielle, c’est que la province a voté contre Paris, à rebours de la capitale, comme si le fait de siffler son club de football ne lui suffisait plus. Comment cet antagonisme se manifeste-t-il ? Et pourquoi tant de haine envers Paris ?

Quand on arrive en ville on vote Macron

Un indicateur permet d’expliquer 80 % des disparités de vote entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ; cet indicateur, c’est la taille de la commune. Loin devant l’âge, loin devant le niveau de revenus, loin devant le sempiternel clivage gauche-droite, c’est la taille de la commune qui influe le plus sur le vote des individus. Dans les grandes villes, le candidat d’En Marche a presque été plébiscité : 65 % des électeurs parisiens ont voté pour lui au second tour. Mais dans les petites communes — celles qui comptent moins de 1000 inscrits — Emmanuel Macron n’a remporté que 39 % des suffrages exprimés. Le candidat des parisiens s’est donc imposé, sauvant l’honneur du PSG (bien que l’amiénois d’origine soutienne plutôt l’Olympique de Marseille).

Paris prend la grosse tête

Chez Yomoni, nous avons un tropisme parisien. Nos bureaux sont situés boulevard de la Bastille et les deux tiers de nos clients vivent en Île de France. Mais si nous mettons notre tropisme de côté, nous devons bien admettre que la rancœur des provinciaux nous semble justifiée. Rappelons les faits : depuis deux cents ans, la région parisienne n’en finit plus de concentrer la population française et sa richesse. Paris a littéralement gagné du terrain sur la France. Les chiffres se passent de commentaire : la région Île-de-France regroupe désormais un cinquième de la population hexagonale, elle concentre à elle seule un tiers des revenus et deux tiers du patrimoine ! C’est peu dire que Paris et sa région prospèrent plus rapidement que l’ensemble du territoire. Comment l’expliquer ?

Pourquoi y a-t-il des villes plutôt que rien ?

Historiquement, pour le dire vite, les hommes se sont organisés en communautés urbaines, pour deux grandes raisons : la sécurité et les échanges.

La sécurité

Il s'agit en général d'atteindre la taille critique pour bâtir et maintenir une infrastructure de défense physique (fortifications) et organisationnelle (armée), dans le but de prémunir la ville contre les invasions, les raids ou les pillages.

Les échanges

C’est évidemment le commerce qui domine et qui explique la multitude de villes antiques portuaires ou estuaires. Mais la ville est aussi le centre des échanges intellectuels, échanges d’idées qui ont permis à de simples carrefours commerciaux d’accéder au rang de haut-lieux scientifiques, spirituels et culturels.

Toujours plus vite donc toujours plus loin

L'avancée des technologies militaires a progressivement déplacé la taille critique au niveau de la région, puis du pays, voire de la superpuissance continentale. La nationalité (pays) a donc supplanté la citoyenneté (ville). Paradoxalement, le développement urbain n'a jamais été aussi florissant qu’au cours des deux cent dernières années. Le dix-neuvième et le vingtième siècle ont été ceux des villes, bien aidés par l’intensification des échanges commerciaux, rendue possible par les progrès dans le domaine des transports, chemin de fer en tête.

Avec l'apparition de moyens de transports plus rapides, la logique voudrait que les distances s’effacent, que les kilomètres s’abattent sans peine, et qu’il soit moins nécessaire de vivre en ville qu’avant. Raté. Il n’en est rien, bien au contraire. Partout dans le monde, les citadins passent toujours autant de temps dans les transports, bien que ces derniers soient de plus en plus rapides. C’est la loi de Zahavi, énoncée en 1974 par Yacov Zahavi.


Les centres et les périphéries

Depuis un siècle, les franciliens passent ainsi en moyenne 80 minutes par jour dans les transports, alors que la banlieue parisienne est bien plus étendue aujourd’hui qu’elle ne l’était du temps de Proust. L’amélioration progressive des infrastructures routières et ferroviaires n’a fait qu'étendre la ville sur un territoire plus large, comme un liquide renversé dont on réduirait la viscosité pour qu'il se répande davantage. Sorte d’effet tache d’huile. La ville déborde et vient mugir dans les campagnes. Urbanisation et mondialisation sont donc intimement liées par l’accélération des transports et des communications. L’urbanisation fournit les nœuds du réseau pendant que le développement des transports permet le télescopage de villes qu’une géographie dépassée plaçait jusque là à des distances respectables.

Les campagnes n’ont pas fini de se vider

À dire vrai, ce phénomène n’est pas vraiment nouveau. L’Empire Romain y a été confronté, en son temps. Certes, l’urbanisation a passé la seconde depuis la Révolution française, à tel point que 50 % de la population mondiale a finalement quitté les campagnes pour migrer vers l’anonymat offert par les villes-mondes, symboles d'ascension sociale ou de spleen. Cet exode rural est loin d’être terminé : 2 milliards de citadins supplémentaires sont attendus dans les villes au cours des 50 prochaines années !

D’un côté, cette tendance est aujourd'hui célébrée par le monde économique, FMI et Banque Mondiale en tête, suivis de près par les experts économiques, qui y voient un vecteur de développement et de paix (la démocratie est moins présente et les conflits armés plus fréquents lorsque la ruralité est élevée). Afin de tresser des couronnes de lauriers à la ville, ces experts n’hésitent pas à extrapoler les tendances passées pour s’extasier par avance de la croissance future.

De l’autre, la ville est vilipendée par la morale et la tradition populaire. Les récits folkloriques ou religieux dépeignent toujours la ville comme le lieu de perdition par excellence. Il n'y a pas d’équivoques dans les récits sur Babylone, ou sur Rome, dans les contes médiévaux, les fables de La Fontaine, ou dans des contes plus proches de nous, comme Heidi. Par un antagonisme simple, la campagne serait un lieu de vertu, une sorte de paradis originel, où serait préservée l'authenticité des rapports humains entre gens ordinaires, alors qu’en ville, c’est « l'ultra-moderne solitude » qui rôde…

Quand la périphérie fait la nique au centre

L'opposition des villes et des campagnes est donc vieille comme l'humanité. Après des millénaires d’exode rural, les campagnes peuvent ronger leur frein, c’est certain... Pour autant, l’opposition rencontrée par la mondialisation saurait-elle se réduire à une simple contestation de la concentration urbaine ? Il faut nuancer. Ce n’est pas l’efficacité économique de la mondialisation qui semble être contestée, mais sa capacité à « faire société ». Il s’agit d’une lutte, une tension, entre efficacité économique et équilibre spatial.

Si les conséquences géographiques de la mondialisation sont davantage contestées que ses conséquences économiques, la ville-monde, ce centre de la mondialisation, devra alors se réinventer, car la fuite en avant de la densification urbaine ne semble pas soutenable si l’on tient à la cohésion nationale — et accessoirement à la démocratie. Paris, comme les autres villes-monde, sera forcée d’évoluer. Sinon la capitale française risque de subir le courroux des régions périphériques et la défiance démocratique qui y est associée, lorsqu’un pays tout entier se met à voter contre les intérêts de sa capitale, pour affaiblir son hégémonie, quel qu’en soit le prix. Qu’est-ce que le vote du Brexit, sinon un doigt d’honneur tendu par l’Angleterre périphérique vers sa capitale ?

Des villes plus riches dans des pays plus pauvres ?

Comment diluer les centres urbains dans l’espace national ? Tel est le défi structurel des prochaines décennies, question bien plus essentielle que celle des frontières nationales. Pour notre nouveau président, ce n’est pas tant le renouveau du projet européen, que celui du « Grand Paris », qui redessinera les lignes des fractures françaises. Aujourd’hui, le projet du Grand Paris a tout lieu d’inquiéter, puisqu’il indique que l’ogre centralisateur n’est pas rassasié. Son appétit colossal aura des conséquences néfastes pour tous. Les efforts de fluidification des transports ne feront qu’étendre l'agglomération parisienne, alourdir la pollution, la promiscuité, tout ce qui pèse sur la qualité de vie des habitants, pour assécher davantage l’activité économique de la province… Vaste défi auquel tous les pays démocratiques sont confrontés.

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